Vraiment, ce n’est pas facile de tuer un humain. Ça résiste, un corps. Prenez celui de Joseph Clark. Le 2 mai 2006, à 10 heures du matin, dans une prison de l’Ohio, on lui plante une aiguille dans le bras gauche. « Ça ne marche pas, ça ne marche pas ! » hurle-t-il. Vingt-cinq minutes plus tard, deuxième dose dans le bras droit. La veine explose. On pique la jambe : « ça ne marche pas ! » Pas le choix, il faut tirer le rideau pour épargner aux témoins ce spectacle pénible. Le chlorure de potassium brûle les veines de Joseph Clark qui crie, appelle au secours, pleure, grogne, avant de se taire à 11h26, une heure et demie plus tard. Même problème en décembre dernier en Floride, avec Angel Nieves Diaz, mais lui n’a pas pu crier, à cause du produit paralysant ; il a tenté de dire quelque chose avec les yeux, a gigoté sur la table pendant trente-quatre minutes.
Lire de telles choses dans la presse est vraiment désagréable : le gouverneur Jeff Bush a donc décidé un moratoire sur les exécutions en Floride jusqu’à fin mars. Son frère, le président des Etats-Unis, s’est, lui, inquiété de ce qu’il avait lu à propos de l’Irak. Là-bas aussi, quelque chose n’avait pas marché : la tête de Barzan al-Tikriti, demi-frère de Saddam, s’était détachée de son corps lors de la pendaison. « Cela arrive rarement, mais c’est arrivé. C’est la volonté de Dieu » a déclaré le porte-parole du gouvernement irakien. Bush a trouvé que ce gouvernement « manquait de maturité ». Condoleeza Rice s’est déclarée déçue, estimant que Barzan aurait dû être pendu avec « plus de dignité ».
Joseph Clark, Angel Nieves Dias, Barzan al-Tikriti… On a parlé d’eux. Si l’on veut sauver de futurs condamnés à mort, il faut parler des suppliciés. Raconter des vies, même celles de ceux qui ont commis des crimes. Décrire leurs derniers instants. Jusqu’à la nausée. Mettre un nom sur chacun des pendus, des électrocutés, des fusillés, des intoxiqués. Ne pas accepter qu’ils soient réduits à l’état de numéros.
Aux Etats-Unis, ce sont les récits d’exécutions qui font régresser leur nombre. Dans le monde arabo-musulman, la polémique autour des pendaisons irakiennes contribuera certainement à renforcer le poids grandissant, y comprit chez les religieux, des opposant à la peine capitale, que seule la Jordanie envisage d’abolir. Reste le cas de la Chine : la justice n’y est pas seulement rapide, elle est expéditive : on y a tué en 2006, par pendaison ou par balle, officiellement 2 000 personnes, entre 5 000 et 8 000 selon Amnesty. Autant d’anonymes. Dont personne n’a parlé. Le troisième Congrès mondial contre la peine de mort, qui se tient à Paris du 1er au 3 février, lance, dans la perspective des jeux Olympiques de Pékin, un appel au président et au peuple chinois « pour une trêve des exécutions ». Le jour où l’on pourra mettre un nom sur chaque supplicié chinois…